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12/08/2008

LettreS au HasarD - VoyagE à la MeR


Dimanche 2 avril 1950
Par une après midi


Hello Jacques,

J'en m'en vais conter les faits les plus drôles, les plus surprenants, les plus singuliers, les plus imprévus, les plus grands, les plus petits, les plus inouïs, les plus étourdissants, les plus communs. Enfin des moments, nous pourrons trouver exemples si nous voulons chercher. Ces instants, je ne saurais croire si ils ne m'étaient pas arrivés. Ces histoires feraient crier miséricorde à tout le monde. Ces choses, si ma grande mère les savaient, seraient bien étonnée et scandalisée. Elles se sont produites jeudi de cette semaine, rien que jeudi, pas mercredi, ni vendredi. Je ne puis résoudre à te les dire !

Je te donne à dix pour cent, donnes tu ta langue au chat. Il faut que je te le dise. Quelqu'un est venu me voir. Paulette dirait, c'est André, point du tout, ou bien Robert de Bruxelles ou Albert, encore moins, c'est Jacques. Allons, il est courageusement à l'armée, voyons. Tu ne trouveras point, je te le dis. C'est votre frère Henri, venu un jour après cinq heures avec l'excuse de me demander si ses livres me plaisaient. Il voulait aussi en reprendre un ou deux. Il m'a demandé si j'avais des nouvelles de toi, ce que tu me racontes. Et surtout quand tu rentres.

Les autres faits, de nature moins plaisants pour moi à cet instant. Frais, il est certain dans un mois au minimum, j'en plaisanterai. Je te rappelle l'existence de ce type abominable au cour. Celui dont je suis forcée de souffrir encore 6 mois, il est pris de jalousie chronique pour tout ce qui m'entoure. Il va jusqu'à me suivre, quand je rentre au cinéma ou au théâtre, accompagnée ou non.
Jeudi, ce fameux jeudi, pas vendredi, ni mercredi, imagine : il m'a soustrait mon portefeuille avec tous mes papiers et sept cents francs, argent de mon mois et de ma mère. Il croit m'empêcher de partir en vacances. Si j'ose le soupçonner ainsi. Après réflexions, il est resté seul avec ma mallette pendant quelques temps.

Jamais, je n'aurais cru à une telle perfidie. Un homme d'une telle culture, d'une intelligence brillante soit si dépourvu de délicatesse. Il s'est conduit comme un parfait crétin !!!

Voilà tous les beaux sujets pour discourir. Si tu souris en haussant les épaules, si tu te dis que tout cela n'a rien d'impossible, que je ne suis qu'au commencement d'un petit fait qui se moque de moi, que cela est bien fade à imaginer. Je dirai que tu as raison et je pense comme toi.

Autres faits divers. André est parti en Hollande avec Jean pour une semaine. Selon les bonnes habitudes familiales, André s'est décidé la veille au soir, de son départ. Au moins c'est gai, de l'imprévu s'invite à son voyage.

Paulette fait un stage de prof dans une école de la ville, je ne la comprends pas... Elle se met en rage parce qu'elle doit travailler... Elle a besoin d'oseilles et cela rentre ...

Joyeuses Pâques et à la prochaine

Chérie
Lili


Ostende, le 8 avril 1950




Hello Jacques,


Dans cette pouponnière, je trouve des enfants dans tous les coins. L'heure des repas, une concentration se produit aux abords de la salle à manger. Au centre de ces escadrons en effervescence, ma mère, une tante, les soucis en oblique, leurs yeux foudroyants crient des brides de conversation que seuls les enfants n'entendent pas. Trois familles de 5 enfants en bas âge, trois autres familles de 3 ou 2 enfants. J'apprécie ces dîners, une atmosphère gaie et vivante entoure nos repas. Je ne voudrais pas manquer cela pour rien au monde.

Contrairement au reste du pays, un soleil magnifique et de la chaleur agrémentent notre séjour.

Ces deux soirs, j'ai visionné deux film de cow-boy au cinéma. C'était épatant, rien de tel pour s'amuser, il se peut que j'y aille tous les soirs.

Je te souffle peu de mots sur la mer. Elle immerge au fond de mon coeur. Je vis dans ses vents, je la regarde, je l'observe. Ses vagues s'enroulent, calme, carpette à franche d'écume. Agitée, elle grince et monte à l'assaut de la digue.

Ce matin, je regardais les pêcheurs sur l'estacade. Un promeneur préoccupé, la force des vents pousse son couvre chef. Celui en profite pour s'échapper et se mouvoir librement. Suivi des yeux par une balustrade garnie de curieux et de plaisants, il finit sa course telle une coquille de noix sur cette mer. L'homme, le coeur plein d'inquiétude dut dire adieu à son chapeau.

Aujourd'hui, du vent et encore du vent, il peut faire tenir un papier contre un mur. Pour avancer tranquillement sur cette digue, il faut être deux. Toute seule, je me sens fragile. Je serai plus tranquille dans un coin abrité.

Chérie
Lili


J'espère que tu auras une permission pendant ces quelques jours.

Ostende, le 10 avril 1950.



Cher Jacques,

Une jeune fille se pavanait, ce matin, au soleil, avec sa robe à fleurs, sur la digue, au milieu d'un groupe de jeunes snobs, dorés. Elle prend ensuite la forme d'un ours avec quatre ou cinq épaisseurs de laine. A cet instant, elle lutte contre le vent et la pluie, elle essaye de tenir debout. Et ces jeunes gens, les mêmes du matin, si tu les avaient vus. Après cette matinée de char à voile, trempés, crottés, du sable dans leurs yeux. J'étais avec Guy Delhaye, il est venu me chercher ce matin, il loge au Zoute.


Pendant une heure, il s'est amusé à rouler dans ces mares immobilisées, tranquilles à marée basse. Il a fait des virages dans la mer, juste à l'endroit où les vagues finissent leurs carrières.

Chacun de mes arrêts sur le chemin vers la voiture, trempée, je marquais le sol par des étendues d'eau. Dans l'auto, nous avons du nous envelopper dans une couverture pour ne pas trop mouiller les sièges.

Il est possible que demain, j'aille passer la journée au Zoute, si Mirielle ne vient pas. Avec elle, il n'a pas moyen de savoir son emploi du temps, ni obtenir un oui ou un non. C'est comparable à ton caractère, il n'est point aisé de savoir ce que tu désires. Ce n'est qu'après beaucoup d'attentions que l'on peut se rendre compte exactement et encore ce qu'il en est.

Je travaille un peu, j'ai amené des livres, mais dans une chambre d'hôtel, l'inspiration ne vient pas. Le vent dehors, s'amuserait d'éparpiller les feuilles de mes cours.

Il est probable que nous regagnions Liège, jeudi ou vendredi, mais avant, j'aimerai passer par Bruxelles, je recherche des reproductions de "Primitifs Flamands" et il me semble que je dois me rendre au cinquantenaire.

Après de longues recherches dans les magasins, j'ai enfin trouvé le portefeuille de mes rêves. Cet après-midi sera heureusement campé par cet achat, je brûle qu'il ne soit pas déjà parti. Une nouvelle carte d'identité va orner ce porte billet, cela a été très facile. Il paraît que dans deux mois, la Belgique établit un recensement, le format de carte d'identité fait peau neuve.


Cherico

Lili


Ostende, le 13 avril 1950.



Cher Jacques,


Aujourd'hui, dernier jour, "Dernier" prend tout son sens, sa signification. Tous les gestes prendront une autre symbolique. Pour un temps, je pense à la séparation cruelles des endroits, des senteurs, des lieux que je perds. Certes, y penser matérialise encore mieux l'instant où cette mer se roule devant moi. Savourer cet instant où le ciel couleur plus bleutée que la mer s'étend à l'infini. Dans deux heures tout au plus, je douterai que j'ai vécu tout ces moments là.

Ce matin, je perçois l'environnement avec une certaine acuité. Cette sensation ne reste pas en moi, elle s'échappe au Temps. Elle détient une profondeur, je la vis avec une intensité décuplée et je la décortique alors chaque élément. Cette atmosphère enveloppe, ce mouvement par rapport à une rigidité, cette magie des couleurs, des odeurs et des bruits. Je suspends ma vie, je n'ose pas bouger de peur de perdre cet ensemble. Un légère insensibilité du physique émeut cet équilibre instable.

En fait, l'eau, le ciel, la plage ne me plaisent pas aujourd'hui. La mer commence son chemin verdatre sur les pierres noires puis vire au sale gris et se perd dans un ciel barbouillé de nuages. Je me sens mal à l'aise, je voudrais partir.

Je suis partie, au bout, au fin fond de l'estacade, je suis allée, je regarde rentrer les bâteaux. Un oisillon sur le sable, lors de mon retour vers la plage, des gamins lançaient des pierres et coquillages afin qu'il retourne dans les vagues. L'oiseau exténué, s'est laissé prendre. Ils l'on porté là où le courant se déchaîne et de la digue, ils l'ont jeté dedans. La révolte me prend le corps mais est ce raisonnable d'intervenir.

Le train part, je suis dedans. La Flandre nous montre ses atouts. Maintenant, je vais te garder, secouez-vous jeune homme. Sors, va au cinéma, change toi les idées, je te conseille au passage un film de cow boys, rien de tel. Si ce style ne te plaît pas, écoute un peu de musique, du slow en passant à des instants que tu affectionnes. Cela n'est pas aisé à concrétiser mais avec un peu de patience, tu peux y arriver.

Au fond, facher la "Direction" peut paraître idiot, mais décharger son coeur et sa langue soulagent. Je te comprends, mais plus de bétise, se tenir permet d'être gagnant. J'arrive en gare.

Une lettre à épisodes, je signe chez Nini. Oublier son foulard dans le train, je me demande quelle tête survit sur mon épaule, ou plutôt qu'il a y t il dedans ?

A très très très bientôt....


Cherico

Lili

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